I. Capteur d’ombres
Un appareil photo numérique fixé à un écran portatif translucide intercepte et recueille les motifs d’ombre et de lumière, ralentit le flux de l’imagerie, éclaire les fausses perfections de la photographie, filtre les informations haute-fréquence, tout en conservant la couleur de l’air et de l’espace.
II. Récolter les sensations
J’utilise les images numériques comme documents-sources détournés afin de créer des configurations structurales et des accords de couleurs sans cesse surprenants, tout comme un échantillonnage musical. L’immersion positiviste au sein de la nature fait ainsi oeuvre de supplément à l’imagination. En visitant le studio de Jackson Pollock, Hans Hofmann prévenait que l’artiste qui travaillait sans la nature était condamné à se répéter. Mes documents-sources sont variés et peuvent prendre la forme de photomicrographies du cortex visuel, de répétitions de danse, ou d’arbres au crépuscule.
III. Matériel pellucide
Assister à la transillumination d’une toile à voile polyester au cours d’une performance m’a poussé à me défaire de la lourdeur et l’opacité dans mon travail. Ma toile de fond pour “New Bach” (danse moderne de Peter Sparling, chorégraphiée sur une performance live des suites pour violoncelle seul de Bach) a influencé mon passage aux supports d’aluminium et de mylar, aux lames d’acier inoxydable pour appliquer la peinture, et aux films de peinture à l’huile ultrafins.
IV. Résine alkyde sur aluminium
La résine alkyde est un équivalent moderne et actualisé de l’huile de lin et rend possible un nouveau vocabulaire chromatique, par exemple la production d’un orange qui est en réalité pâle, au lieu du rose qui est généralement le résultat du mélange d’orange et de pigments blancs. Les couleurs peuvent être superposées sans pour autant disparaître, ou encore couvertes d’un voile de gris, et aucune lumière ne se perd en s’infiltrant dans la texture rêche du tissage de la toile de lin; l’apprêt blanc du support d’aluminium renvoyant toute la lumière en reflets lumineux. Ces nouveaux matériaux – résine, plaques d’aluminium, châssis d’aluminium – sont légers mais extrêmement résistants, et écologiques dans leur aplomb.
V. Patch-to-patch
Je peins souvent en patch-to-patch pour atteindre une résolution suspendue du gestuel/de l’expressionniste et du géométrique en intégrant le local et le global dans un système relationnel (un paradigme: la structure profonde de Cézanne, Le jardin des Lauves, Phillips Collection). La tension et la richesse inépuisable de la construction en patch-to-patch dérive souvent de la mosaïque esquissée de la grille.
VI. La grille
Diviser le sujet en grille requiert une visualisation active et engagée car la grille génère une myriade de relations par contrastes et juxtapositions. La grille rend littéral le processus de balayage inhérent à la vision humaine et, dans sa géométrie, superpose et évoque l’ordre de la vision industrielle à base de pixels et l’imagerie numérique. Elle est particulièrement utile pour générer série et sérialité.
VII. Dessiner avec l’appareil
J’utilise des appareils numériques haute résolution afin de dessiner en douceur avec de la lumière colorée, et ce pour remplacer l’inscription de la texture de surface avec la capture de l’unité de couleur moyenne des objets et de l’espace. Cézanne avait raison lorsqu’il affirmait que chaque mètre carré du monde est unique en teinte et luminance. En ne laissant pas l’appareil accomplir sa fonction habituelle, j’entraîne la photographie au sein du pictural avant même qu’elle ne soit peinte.
VIII. Étrangeté divine
Je cherche à retrouver quelque chose de l’étrangeté divine du monde en réagissant aux extrêmes phénoménologiques (lumière des premiers ou derniers instants du jour, tempête ou phénomènes de saison), et en exploitant la flexibilité technique de la photographie (ouverture extrême du diaphragme, exposition, distance focale, position, mouvement, support).
IX. Indexicalité
Je fais parfois en sorte qu’une surface photographique glacée inscrive plus que l’empreinte visuelle de la lumière. Je rend l’indexicalité performative quand je dessine sur des images de feuilles de chêne en utilisant de véritables branches de chênes trempées dans de l’eau chaude, quand je traîne des images de joncs dans ces mêmes joncs couverts de rosée, ou quand je permets à des branches balançant dans un ruisseau de ‘dessiner’ et d’inscrire la surface de mon travail. Tous ces procédés, étrangement, permettent aux choses d’être fidèles à elles-mêmes (John Cage).
X. Intériorité
Je reconnais l’impossibilité d’une opticalité pure et me demande souvent comment réussir à inscrire une incarnation au sein du monde matériel. Quelles sont les formes de densité, d’encastrement, de viscosité, et de pression, qui manifestent un certain sens d’intériorité, d’être matériel?
XI. Matériel pulvérisé
Je dessine souvent à l’aide de poudres de graphite et de charbon pulvérisées afin d’inscrire les motifs évanescents – le battement des feuilles, le balancement des branches, le vent sur l’eau. Le graphite a une échelle des valeurs très courte, mais riche, comme une épreuve au platine, alors que la poudre de charbon a une texture plus grossière et une échelle plus longue et intense. Ils ont tous deux une physique de dispersion unique qui défie tout contrôle fiable.